nouvelle sur le football lecture gratuite un écrivain et le foot


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Dernière lettre du mythique président du mythique club de foot



(rappel, le début de cette nouvelle se trouve à la page Lire nouvelle en français)

Les salaires ont flambé. Mais surtout le coût des transferts. Je recevais le joueur dans mon grand bureau, lui proposais de doubler le salaire demandé ! Il n’y croyait pas ! Fou de joie... La mise en garde passait comme une lettre à la poste : totale confiance au soigneur : - Ici, tu l’as remarqué, on a des athlètes... - Alors c’est vrai ce qu’on raconte, sur le dopage... - Donc tu sais tout ! Et comme il faut bien couvrir les frais, le montant de ton transfert, on va le tripler... - Pourquoi vous voulez leur donner autant de fric ? - Parce qu’il faut payer ton impresario ! - Je ne suis pas une star, je n’ai pas d’impresario. - Si on tombe d’accord, je te présenterai Sébastien. Si tu le veux, officiellement tu l’as choisi comme impresario depuis six mois. Donc forcément, ça prend sa commission un impresario. Je t’ai dit que ton salaire on le doublait, officiellement on le triple, et après la part de Sébastien, ça te fera même un peu plus du double. - Je vais devenir l’un des footballeurs les mieux payés du pays ! - Mais il faudra mouiller le maillot ! Habituellement, après un super début de saison, le joueur était appelé en sélection nationale où il s’imposait. Et les offres des clubs les plus fortunés affluaient. Naturellement une part du transfert me revenait, via Sébastien, dont le contrat spécifiait « impresario durant toute la carrière du joueur ». Une rente. Sébastien, c’est le copain d’enfance. Avec le véto préparateur physique marabout, un sacré trio ! Nos plus belles années. Jeunes, riches, beaux, célèbres, courtisés.

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L’oseille c’est une chose mais la une de France Football et le titre « président de l’année », décerné par les pairs, à tout juste 35 ans, ça c’est le must...

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Après, ces méthodes se sont généralisées. Quelques procès, l’acharnement du fisc. Et à vrai dire, ça ne m’intéressait plus. Sébastien s’est tué dans un accident de voiture : sa Porsche entre deux camions, une call girl la tête éclatée entre son bassin et le volant. A l’arrière, « un jeune espoir » et une autre fille dans une position sans équivoque. Daniel se passionnait pour le cyclisme, voulait le tour de France et le maillot arc-en-ciel pour ses poulains. Et j’en étais à mon troisième divorce.

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Tout ça, c’est de l’histoire ancienne. Nos stars, celles qui nous ont enthousiasmés, sont mortes un peu plus tôt que si elles étaient restées anonymes. Mais dans la ville de leur enfance, un stade porte leur nom. Et je suis certain que si on leur avait vraiment expliqué les dangers, pas cinq auraient refusé. Entre la gloire et une vie en usine, quelques années de vie en plus ou en moins, c’est dérisoire. Quand on a quinze vingt ans.

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Bien sûr, il est écrit un peu partout que j’ai mal tourné. Avec cette histoire de tourisme sexuel. On ne se privait pas, pourtant, dans les centres d’entraînement. Les gamines voulaient voir leurs idoles. Les gamins aussi... Mais là les journalistes posaient les appareils, profitaient de l’occasion... Mais j’ai soixante-six ans et elle treize. Officiellement, « ça ne se fait pas ». Hypocrites ! Je l’aurais bien épousée, j’aurais bien voulu un enfant d’elle. Les conventions internationales ne le permettent pas. La chute de l’ex-président ! Je me souviens très bien de cette émission de radio, après la disparition d’un « monument de la chanson. » Soudain un blanc, quelqu’un vient de balancer : « mais il aimait quand même un peu trop les petits garçons. » Grande gloire dont « les histoires de pédophilie » furent étouffées, réglées discrètement... Autre époque. Et elle a treize ans, ma princesse. Comme elle était heureuse de m’avoir rencontré. Vivre avec moi une dizaine d’années, c’est ce qui pouvait lui arriver de mieux. Ça va être quoi, désormais, sa vie ? Quelques mois à la une des médias ; des cadeaux « sans contrepartie » (mais une sacrée contrepartie !) et un jour elle sera assassinée. Parce qu’ils n’en auront plus d’utilité. Mon avocat leur a bien proposé un grand mariage, ou un mariage discret. Il n’en est pas question. Même avec une valise à se partager ! Ce qu’ils veulent, c’est « un cas d’audience internationale ». Je ne suis qu’un pion dans une négociation pour une place au conseil de surveillance de l’ONU. Venez entrepreneurs, le pays a désormais d’autres atouts que la prostitution... Naturellement, ce tour de vis n’améliorera pas la vie « des filles » : la prostitution sera moins visible, sera verrouillée par des réseaux. Les prix flamberont et des poches se rempliront, pas celles des filles. Ni des garçons. Le discours des ambassadeurs, aux quatre coins des télévisions, est trop bien rodé pour qu’il s’agisse d’un simple opportunisme. Tout a été minuté. Dès mon arrivée ici, notre sixième « lune de miel », j’étais condamné. J’en suis désormais persuadé. Pauvre gamine qui n’aura jamais eu le choix. Moi je l’ai eu. Après quelques beaux coups, j’avais mis suffisamment à l’abri. Mais j’ai continué car rien d’autre ne m’intéressait. J’aurais sûrement dû continuer. Ou me lancer en politique. Là j’aurais vraiment été protégé.

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A mon âge, vivre quelques années avec une angélique nymphette, une lolita pure, qui n’en a pas rêvé ? Les illusions classiques ne font plus illusion et si la possibilité se présentait, tous s’en réjouiraient. Sauf les homosexuels, ça va de soi, aurait sûrement ajouté Georges Brassens. Tous, naturellement, ne signifie nullement l’ensemble des habitants sexagénaires (sûrement pas anodin, j’avais écrit « sexadégénaires ») : un niveau socio-culturel est indispensable pour comprendre une telle relation et apporter sa véritable obole à cette union (le savoir, l’aisance financière, dont le poids peut sembler dérisoire dans la balance... vu de France) et souhaiter, vraiment souhaiter, la sérénité de l’autre. Impossible entre occidentaux : les mœurs ont intégré qu’une jeune fille (ou un jeune gars) peut tout exiger mais ne devra jamais donner certaines choses. Même si elle en a l’envie ! Si une nymphette comprenait les bienfaits de cette union, la société lui interdirait, prétendrait qu’elle est trop jeune pour décider. Alors qu’une fille de là-bas, d’ici, sait qu’elle ne doit pas se priver de ses meilleurs atouts, qu’elle n’a que quelques années pour sortir de « la merde ». En France, pour éviter les foudres de la justice, limitez votre champ de conquête aux filles majeures. Certes, parfois la justice est embêtée, quand le regard d’une jeune fille de 16 ans est sans équivoque lors du procès intenté à son professeur de musique accusé d’avoir abusé de la situation bien avant ses 15 ans. Hé oui, les lenteurs de la justice permettent de constater qu’ils sont toujours ensemble et heureux d’avoir commencé avant l’âge autorisé ! Quelle chance il avait ce professeur de musique ! Hypocrisie : une fille de 18 ans, confrontée à la violence sociale depuis des années, sortira difficilement du schéma mental imprimé par son entourage. Ah ! Se remettre sur les bons rails de la vie, des années entre le vouloir et les pieds enfin bien posés. Existait-il en France une fille de 18 ou 20 ans, même 25, qui m’aurait dit OUI en me considérant autrement qu’un portefeuille sur pattes ? A 18 ans, la majorité des occidentaux sont déjà perdus pour l’amour. Et si peu se régénéreront. La rencontrer à 14 ans, ce serait lui sauver la vie. Et elle accepterait, en totale connaissance, surtout en considérant l’état pitoyable de ses parents !, comme l’adolescent acceptait les piqûres pour s’en sortir. C’est sûrement trop jeune pour une telle décision mais cette règle du jeu, je ne l’ai pas inventée, elle est fixée par la société. J’ai vécu dans ce pays. J’ai simplement essayé de me débrouiller avec mon époque et suis parti en Asie sans « mauvaise intention », pour vivre vraiment, par dégoût de la société occidentale. Je pourrais encore vivre en France, mais dans une bulle, dans cette vaste propriété à la mer, achetée pour ma Lolita. Et plus tard, elle en aurait hérité, elle y aurait aimé d’autres hommes mais ça, c’est la loi de la nature, et cette loi-là je l’accepte. Vous multipliez les lois et niez les lois de la nature. L’amour et la mort ne sont pas comme vos lois les voudraient.

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Elle m’aime. Vraiment. Demander de l’argent et aimer vraiment n’est pas incompatible. C’est incompatible avec nos préjugés de privilégiés. La France croit-elle pouvoir encore vivre longtemps en dehors des réalités du monde ? Il faudra vous adapter ou disparaître, créer le club des « pays en voie de sous-développement. » Ailleurs le monde innove et vous placez des avocats et des juges aux quatre coins des milliers de textes légaux pour freiner toute initiative. Je ne connais personne ayant « réussi » (être vraiment sorti de son milieu familial, avoir progressé) sans au moins quelques petites magouilles. La seule injustice, c’est celle de la naissance. Si l’idée de justice vous taraude tant, donnez à chaque enfant les mêmes chances, nationalisez les héritages pour les redistribuer équitablement à chaque enfant. Vos beaux discours moralisateurs peuvent enthousiasmer les naïfs, les victimes du tuyau à émotions mais elles ne servent qu’à masquer votre acceptation des véritables injustices. Emouvoir pour interdire la réflexion.

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Ma vie entre 50 et 60 ans, Daniel est le seul à la connaître. C’était certes une forme de dépression selon les spécialistes. Pour moi une déconnexion du monde réel et une décennie de formation. Avant, je n’avais jamais eu le temps de lire. Des milliers de livres ingurgités. Michel Houellebecq aura été ma meilleure aide pour comprendre l’époque actuelle. Ç’aurait pu durer ainsi jusqu’à la fin mais Fanny est morte. Je ne sais pas si entre nous ce fut de l’amour. Nous étions la bouée de l’autre. De bons camarades plus que des amoureux. Notre sexualité était même dérisoire. Mais lire et commenter nos lectures nous suffisait. Et Fanny est morte. Les docteurs m’ont expliqué : ça arrive parfois, sans raison apparente, que meurent des êtres humains. Inutile de leur dévoiler son passé : j’en suis persuadé : cette mort est une réaction de son corps à son passé, ses 17-22 ans, junkie ; la drogue avait été la seule réponse apparente à un univers familial insoutenable ; avait-elle eu le choix ? On finit toujours par payer ses conneries même quand on y fut poussé. Si j’écris aujourd’hui, c’est grâce à cette décennie-là. Avant, même raconter, j’en aurais été incapable. J’étais toujours époustouflé par mes interviews ! Chapeau les journalistes (c’est notre métier, ils répondaient). *** Ç’aurait pu être pire : j’aurais pu être retenu au centre de formation, accepter d’être piqué, triompher... c’est sûrement pour cela que je n’ai pas eu d’enfant... je n’aurais pas eu la force de refuser d’ouvrir toutes les portes... Qui croit vraiment que sans moi notre football aurait été épargné par le dopage ?

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Essayez de la sauver avant de publier ces confidences : elle ne m’a pas trahi : tous ignorent que je parle leur langue. Me croyait-elle, quand je lui promettais de la ramener en France ? Quand ce serait possible... A mon âge, qu’aurais-je pu espérer de mieux qu’une dizaine d’années avec une telle amazone ? Une dizaine d’années puis elle aurait voulu voler de ses propres ailes, d’autres émotions... mais dix ans de douceurs, qu’aurais-je pu vivre de mieux ?

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Les stars sont mortes, leur président croupit dans une cellule. Le « procès fleuve » est en cours. Les réponses « conseillées » me sont transmises chaque matin. Le monde n’a pas vraiment changé, finalement. Camarades communistes vous pouvez triompher ! Et je serai assassiné. Juste avant mon extradition. Une nouvelle convention internationale m’aura accordé le droit de purger ma peine dans mon pays d’origine... Je sortirai encadré par deux policiers. Ils s’arrêteront à vingt pas de la voiture de l’ambassadeur. Un homme jaillira de nulle part, et tranquillement videra son revolver. Personne n’interviendra, naturellement. The end. Il n’opposera aucune résistance pour se laisser arrêter. Ce qu’il ignore, c’est qu’il sera lui aussi abattu, par la police. Qui prétendra naturellement avoir tenté de protéger le prisonnier. Un lointain cousin de mon amazone, bien endoctriné. Mon corps sera immédiatement « rendu à la famille ». Tout et n’importe quoi sera écrit. Les geôliers parlent tranquillement devant « le français ». Ils n’ont rien d’autre à faire. Je me tiens tellement tranquille. Pauvres types ! Il est évident qu’ils seront eux aussi liquidés. Aucune preuve ne devra subsister. Ils parlent trop. Avec un peu de chance, le vieux, mon père, découvrira dans mes chaussettes ces confidences. Ou Daniel. Mon testament. Mon témoignage. Je n’ai eu qu’un seul amour. Aussi inacceptable que cela soit pour des occidentaux, elle avait douze ans et moi soixante-cinq lors de notre rencontre. Si j’avais eu la lucidité de sortir du grand cirque vers 30 ans, l’Asie m’aurait accueilli les bras ouverts et j’aurais peut-être connu ta mère ! Je ne suis pas le premier à découvrir qu’en pensant « vivre vraiment », j’ai perdu des décennies. Et cette erreur, c’est encore pire que cette mascarade de justice.



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